Dans une interview accordée à Brut, l’avocat béninois Renaud Agbodjo livre une parole sans fard sur sa profession. Sans détour, il brise les clichés, interpelle les consciences et expose la vérité nue sur ce que signifie être avocat au Bénin.
Le ton est direct. L’homme ne cherche pas à séduire, mais à éclairer. Dès les premières minutes, Renaud Agbodjo plante le décor : « Je vais vous dire toute la vérité sur le métier d’avocat ». Ce sera cru, lucide, parfois dérangeant, mais surtout profondément honnête. « Les avocats défendent les criminels. » La phrase choque, mais elle est vite recadrée. « L’avocat défend le client qui le sollicite. Il ne va pas chercher à savoir la moralité de celui-ci. » Pour Me Agbodjo, le droit garantit à chacun une défense, peu importe ses actes. Libre à l’avocat d’accepter ou non un dossier selon ses convictions, mais défendre un criminel n’est pas enfreindre la loi. « On peut faire l’avocat du diable sans être le diable », lance-t-il, comme pour souligner que le métier dépasse les jugements moraux.
Sur un ton mi-sérieux mi-provocateur, Me Agbodjo cite Coluche : « Le bon avocat, c’est celui qui connaît son dossier. Le meilleur avocat, c’est celui qui connaît le juge. » Une formule qui en dit long sur les dessous des procès. Pour lui, il ne suffit pas d’aligner des arguments juridiques. « Il est souvent plus intéressant de connaître la nature du juge. Est-il calme, colérique, chrétien, musulman ? » A l’en croire, cette connaissance humaine, presque psychologique, devient une arme stratégique dans la construction d’une défense, surtout en matière pénale.
« Non, l’avocat ne ment pas »
C’est un autre cliché que l’avocat démonte sans ménagement. « L’avocat ne ment pas. Il utilise le silence de la loi pour sortir un client de la difficulté. » Nuance essentielle. Loin d’inventer, l’avocat joue avec les zones d’ombre du droit, mobilise la jurisprudence, la coutume et les textes pour plaider une cause. C’est justement cette complexité qui rend le contradictoire sacré dans toute procédure. L’avocat défend une version, une interprétation, pas une vérité absolue, a-t-il expliqué.
Même lorsque le client avoue sa culpabilité, l’avocat n’est pas disqualifié. « La loi permet de rechercher des circonstances atténuantes », explique Me Agbodjo. Pour lui, reconnaître un crime ne signifie pas renoncer à être défendu. Le rôle de l’avocat, déballe-t-il, est aussi d’humaniser l’accusé, de contextualiser les faits, de rappeler que la justice n’est pas uniquement répressive, mais aussi réparatrice.
Sur une question aussi sensible que celle de l’interprétation de la loi, Me Agbodjo répond avec finesse : « Je dirais oui, je dirais non. » Tout dépend de l’objectif poursuivi. Le droit n’est pas figé, il s’adapte, se module, parfois se contourne, mais toujours dans les limites de ce que permet le système.
À ceux qui pensent que les avocats sont tous riches, Me Agbodjo répond : « Tous les avocats qui travaillent bien vivent dignement. » Il insiste sur la noblesse du métier, qui ne se mesure pas au nombre de procès gagnés, mais à la rigueur et au dévouement avec lesquels les dossiers sont traités. « Ce n’est pas un métier d’homme, c’est un métier noble. La robe d’avocat ne connaît pas de sexe. »
Contrairement à une idée répandue, il ne faut pas être bon comédien pour devenir avocat. Il faut être compétent, rigoureux et stratégique. Le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) reste l’unique voie d’accès au métier. Ensuite, chaque avocat développe son style. Et comme l’explique Me Renaud Agbodjo, certains brillent par l’éloquence, d’autres préfèrent l’écriture. Tous ne plaident pas, et ceux qui rédigent peuvent parfois être plus efficaces que ceux qui crient.
Enfin, Me Agbodjo rappelle que le sort d’un procès ne se joue pas toujours à la barre. « Plaider, c’est convaincre. Mais convaincre ne garantit pas une victoire. » Une bonne plaidoirie peut faire douter un juge, ouvrir une brèche. Elle ne décide pas toujours de l’issue, mais elle peut la faire basculer.
Me Renaud Agbodjo défend ici une vision lucide, presque désenchantée, mais profondément éthique du métier d’avocat. Défendre, dit-il en substance, ce n’est pas trahir la vérité, c’est faire entendre une voix, même la plus marginale, même la plus controversée.