Bouleversée, Monique Proulx ne répond plus au téléphone. Des fraudeurs l’auraient escroquée de 6000 $ en enregistrant ses paroles à l’autre bout du fil. Le tout, à partir d’un simple « oui, allô ? ».
Le Centre antifraude du Canada déconseille de répondre au téléphone en utilisant cette formule après que plusieurs citoyens eurent rapporté des vols. « Il y a quelques années, on recevait beaucoup de signalements d’appels où les fraudeurs enregistraient potentiellement le nom ou le “oui” des victimes », nous explique l’agente de sensibilisation à la clientèle Lisanne Roy Beauchamp.
Ces individus seraient parvenus à réutiliser ce mot enregistré pour approuver des demandes de crédit, accepter des offres d’abonnement par téléphone et même accéder à des comptes bancaires.
Monique Proulx aurait été victime de cette technique d’usurpation. Comme plusieurs personnes, elle avait l’habitude d’utiliser l’expression « oui, allô ? » en répondant au téléphone.
Mais en juillet, elle constate que trois virements Interac ont été effectués à partir de son compte bancaire. Trois transactions totalisant 6000 $ à la Banque Nationale, expédiés à l’entreprise de transfert de cryptomonnaie Coinsdrom, dont elle ignore l’existence.
« La banque m’a rapidement demandé si j’avais répondu à des appels dont je ne connaissais pas la provenance », raconte la Gatinoise.
« Ils m’ont reproché d’avoir utilisé les mots « oui, allô », et m’ont dit de répondre simplement « allô » à l’avenir, ou de laisser l’appelant parler en premier. » Monique Proulx
Contactée par La Presse, la Banque Nationale a refusé de commenter le dossier de Monique Proulx « pour des raisons de confidentialité ».
La reconnaissance vocale « de plus en plus utilisée »
Si l’institution ne met pas en garde ses clients sur l’utilisation du « oui, allô ? » sur son site web, d’autres le font. Desjardins demande à ses membres « d’être prudents » en prononçant ces mots.
L’iA Groupe Financier recommande d’éviter d’utiliser les mots « oui » ou « non » en discussion téléphonique avec un inconnu. La reconnaissance vocale étant « de plus en plus perfectionnée et utilisée, des malfaiteurs pourraient se servir de l’enregistrement de votre voix pour voler votre identité. Répondez plutôt avec des phrases complètes inutilisables dans de telles manœuvres », suggère l’entreprise.
Lorsque c’est possible, il vaut mieux ne pas répondre aux appels provenant de numéros inconnus, indique le Centre antifraude du Canada.
Le mot d’ordre est le même au sein des institutions financières consultées par La Presse. « Si les fraudeurs utilisent l’intelligence artificielle, ils n’ont besoin que d’un enregistrement de trois à cinq secondes pour créer une impression de votre voix », rappelle le service des communications de la Banque Laurentienne.
Répondre aux appels frauduleux confirme que votre numéro de téléphone est actif. Ça donne l’occasion aux fraudeurs de vous vendre leur histoire et de vous inciter à devenir victime de fraude.
Lisanne Roy Beauchamp, agente de sensibilisation à la clientèle au Centre antifraude du Canada
Certaines personnes n’ont toutefois pas le luxe d’ignorer les appels dont l’origine est inconnue. Livreuse pour une boulangerie, Monique Proulx reçoit parfois des appels de clients qu’elle n’a pas enregistrés parmi ses contacts.
En juillet, elle recevait une cinquantaine d’appels de numéros inconnus par jour. Elle n’y répondait que rarement, lorsqu’elle pensait qu’il s’agissait d’un véritable client.
Comme il était impossible de prouver qu’elle n’était pas celle qui avait effectué les virements en cryptomonnaie, la Banque Nationale aurait refusé de rembourser Monique Proulx. On lui aurait simplement suggéré d’aller porter plainte à la police.
« On m’a dit que j’étais la 50e personne qui venait au poste cette semaine, et qu’on ne pouvait rien faire pour m’aider », déplore-t-elle.
Le Service de police de la Ville de Gatineau confirme n’avoir aucun dossier mentionnant le cas de Monique Proulx.
Anxiété financière
La fraude subie par Monique Proulx aurait été à l’étude à la Banque Nationale jusqu’à la semaine dernière. Son dossier aurait été fermé, faute de preuves. Depuis, Mme Proulx vit beaucoup d’anxiété financière. La femme de 64 ans pensait réduire ses heures de travail au cours des prochaines semaines, et prendre sa retraite au mois de décembre. Mais ça n’arrivera pas.
« Pour la banque, 6000 $, ce n’est pas la fin du monde. Mais ce l’est pour moi », confesse Mme Proulx, en larmes.
L’argent qui a été retiré de son compte provenait majoritairement d’un héritage obtenu après le décès de sa mère.
« Je regarde la photo de ma mère, et je me sens coupable. Elle s’est arrangée pour me laisser un peu d’argent, et moi, je n’ai pas été capable de le protéger. « Monique Proulx
Dans ce type de fraude, les banques peinent souvent à protéger adéquatement leurs clients, rappelle David Décary-Hétu, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal.
« Ce ne sont pas les victimes dont il faut douter, mais les outils des banques qui se font berner par des outils d’imitation de la voix, commente-t-il. C’est particulier qu’une banque ne se questionne pas, lorsqu’une femme, qui envoie peu ou pas d’argent par virement Interac, envoie trois virements en deux jours. »
De janvier à septembre 2024, près de 7000 signalements pour fraude téléphonique ont été faits au Centre antifraude du Canada, pour un total de plus de 45,5 millions de dollars.
Aucune preuve
Bien qu’il considère la fraude par l’enregistrement de conversations téléphoniques « possible », le SPVM n’a jamais récolté de preuve de son existence. « C’est quelque chose dont on entend parler depuis un certain temps, mais est-ce réel, ou une simple légende urbaine ? Je ne peux pas vous le confirmer », commente le commandant de la section des crimes économiques du SPVM, Steve Belzil. La police de Gatineau « n’exclut pas » l’existence de cette technique, mais en doute. « De par notre expérience en matière de fraude, nous sommes convaincus que cela prend beaucoup plus que l’enregistrement vocal d’un “oui” d’une personne pour en arriver à vider ses comptes en banque ou voler son identité », assure son porte-parole Patrick Kenney. Lorsqu’une plainte est déposée à la police, il demeure très difficile pour les enquêteurs de retrouver les fraudeurs, comme ceux-ci changent constamment de carte SIM, selon le SPVM. Si vous êtes victime d’une fraude téléphonique, il est très peu probable que vous puissiez récupérer votre argent, souligne la police de Gatineau. « Il est tout de même important de porter plainte […] auprès de son service de police local pour que les fraudeurs répondent de leurs gestes devant la justice », estime Patrick Kenney.