Avec son mémoire magistral, Florent Aikpé a brillamment exploré la poésie béninoise contemporaine, un domaine encore largement méconnu dans le milieu académique. À travers l’analyse des œuvres des poètes Armand K. Adjagbo et Louis-Mesmin Glèlè, il met en exergue la richesse culturelle et identitaire de son pays. En alliant rigueur scientifique et sensibilité littéraire, il dévoile comment ces écrivains, chacun à leur manière, redonnent vie à l’histoire et aux valeurs fondamentales du Bénin. Son travail, empreint d’une forte dimension socio-culturelle, se veut un appel à la valorisation de la littérature béninoise, dans le but de renforcer sa présence sur la scène littéraire francophone. Un projet porté par un jeune écrivain et chercheur déterminé à contribuer à la reconnaissance de la poésie africaine contemporaine. Entretien !
Tout d’abord, félicitations Florent ! Que ressentez-vous après cette soutenance couronnée de succès avec mention Très bien et félicitations du jury ?
Merci. C’est sans doute, pour moi, une étape que je considérais comme très importante après l’obtention de ma Licence ès Lettres Modernes. Après avoir passé des jours sans repos et des nuits sans sommeil, en compagnie de recueils de poèmes, d’essais et d’articles sur la poésie, j’étais prêt à donner le meilleur de moi-même. Et pour tout étudiant, voir ses travaux acceptés en ce jour ultime, comme c’est le cas pour moi aujourd’hui, est une source de bonheur inestimable. Ainsi, la joie de cette matinée du 25 juin 2025 a été, pour moi, profondément thérapeutique. Elle est venue apaiser les difficultés rencontrées tout au long de mes recherches et rassurer ma famille ainsi que mes amis qu’ils n’avaient pas tort de croire en moi et de me soutenir. La plus grande joie, c’est cela, c’est voir aussi les autres être fiers de nous après une réussite.
Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur la poésie béninoise contemporaine, un domaine encore peu exploré dans la recherche universitaire ?
Votre constat est très pertinent. J’ai en effet choisi ce domaine de recherche parce que la poésie béninoise contemporaine reste encore peu explorée dans les études universitaires, en particulier dans ses dimensions identitaires et socio-culturelles, pourtant si riches et actuelles. Il faut aussi dire que je nourris une grande admiration pour ce genre littéraire. C’est pourquoi j’apprécie tant les poèmes dans lesquels respire une véritable âme poétique. C’est d’ailleurs ce qui m’avait déjà poussé, dès ma Licence, à m’intéresser à la poésie. À mes yeux, elle est le genre littéraire par excellence, le plus représentatif de l’humain. Même à travers les autres formes littéraires, elle demeure présente. C’est aussi elle qui donne une saveur particulière aux récits, notamment dans l’art de la narratologie. Cela se confirme d’ailleurs dans ma propre bibliographie. J’ai déjà écrit plusieurs recueils de poèmes, parmi lesquels figurent Les Perles de sa hanche, La Main noire au sommet du fleuve (coécrit avec Xavier Zato) et Silence d’ici, silence d’ailleurs, tous officiellement publiés.
Le titre de votre mémoire est dense et évocateur. Comment avez-vous sélectionné ces deux auteurs, Armand K. Adjagbo et Louis-Mesmin Glèlè ?
À travers les écrits de ces deux poètes, Armand K. Adjagbo et Louis-Mesmin Glèlè – qui figurent d’ailleurs parmi les sages poètes du Bénin – j’ai découvert une écriture marquée par la simplicité, la justesse et un sincère attachement à nos valeurs identitaires. Ils n’écrivent pas pour écrire. Les œuvres qu’ils offrent à nos sociétés sont mûrement réfléchies, solidement construites, et d’une grande richesse intellectuelle et culturelle. Ce sont, à mon sens, des modèles à suivre. Ainsi, pour leur rendre hommage et reconnaître leur apport inestimable à la littérature béninoise, il m’a semblé naturel – voire nécessaire – d’orienter mes recherches vers leur travail. Cela s’est imposé à moi comme un impératif, car si nous voulons continuer à faire vivre notre littérature, il faut suivre ce chemin, celui de la valorisation des écrits authentiques. Il faut, comme le dit si bien l’adage, « tisser la nouvelle corde au bout de l’ancienne ».
Que représentent pour vous les œuvres Délices d’épices, Slamodrome et Souffles du silence Je marche vers moi-même dans le paysage littéraire béninois ?
Délices d’épices, Slamodrome et Souffles du silence Je marche vers moi-même sont, pour moi, des œuvres socles, des œuvres fondatrices, des œuvres guides. Elles disent le Bénin autrement, à travers un style nouveau, une écriture renouvelée qui représente déjà ce que l’on peut appeler la poésie contemporaine béninoise.
Vous évoquez une double démarche dans votre étude : valorisation littéraire et mise en lumière de l’identité socio-culturelle. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez articulé ces deux dimensions ?
La première démarche repose sur la nécessité de valoriser les œuvres issues de notre pays, les œuvres béninoises. Ce sont elles qui définissent véritablement notre littérature. En les étudiant, nous montrons combien elles sont riches et capables de porter haut les couleurs de notre drapeau. La deuxième démarche, dans laquelle s’inscrit plus particulièrement mon choix, est sans doute la plus intéressante. Elle consiste à interroger ce que disent réellement les auteurs dans leurs œuvres, et à évaluer si leur parole n’est pas, comme le dit l’expression, « de l’eau versée dans le dos d’un canard ». En effet, à force de ne pas étudier ces trois œuvres, on risque de les marginaliser, alors qu’elles regorgent de richesses socio-culturelles. Il s’agit donc, à travers cette étude, de leur redonner tout leur sens, toute leur saveur, et de mettre en valeur l’identité culturelle forte de notre pays. Car oui, le Bénin a une identité qui ne dit pas toujours son nom. Et cette identité mérite d’être révélée, explorée et célébrée. En ce sens, ces œuvres peuvent même devenir un levier de développement culturel, en suscitant l’intérêt pour le tourisme culturel et en contribuant à l’enrichissement du secteur artistique et patrimonial de notre pays.
D’après vous, quels sont les principaux marqueurs socio-culturels que l’on retrouve dans la poésie béninoise contemporaine ?
En général, la poésie contemporaine béninoise aborde principalement des réalités actuelles. Cependant, il existe une catégorie d’auteurs – à l’image de ceux dont j’ai étudié les œuvres – qui, bien que traitant parfois de thématiques anciennes, parviennent à inscrire leur écriture dans la contemporanéité grâce à un style novateur et original. C’est précisément ce style renouvelé qui confère à leurs œuvres leur caractère contemporain, malgré l’ancienneté apparente de certains sujets. Voyons maintenant les principaux marqueurs socio-culturels que l’on retrouve dans leurs textes. On y découvre une représentation riche et fidèle du Danhomè, actuel Bénin, avec des descriptions précieuses de moments marquants de notre histoire et de valeurs fondamentales de notre peuple. Ces œuvres regorgent d’éléments identitaires, artistiques et culturels tels que l’histoire du royaume d’Abomey, le vodoun, la danse, l’incantation, la scarification, le fâ, le bo, le vô, la chanson traditionnelle, le proverbe, le verbe, la parole sacrée, le panégyrique, la litanie, le nom et la famille, le sacré, le mode de vie, les sites touristiques, le territorial, le style vestimentaire, et bien d’autres encore. Ces marqueurs contribuent à faire de leurs œuvres de véritables vitrines de notre identité culturelle.
Le style de Adjagbo est engagé et satirique, celui de Glèlè introspectif et spirituel. Qu’est-ce que cette dualité révèle de l’âme béninoise ?
La qualité de l’écriture, la connaissance de soi qu’elle favorise, le changement qu’elle suscite, et le retour à la source qu’elle impose. L’engagement de nos auteurs nous transforme, questionne, et pousse à nous redécouvrir dans ce que nous avons de plus important. Car, ils nous invitent à revisiter nos racines culturelles, à nous reconnecter à l’essence même de notre identité béninoise.
Votre mémoire met en évidence la poésie comme outil de transmission, de résistance et de revendication. Pensez-vous que les jeunes générations y sont sensibles ?
Bien sûr que oui. Et, j’ajoute que tout jeune conscient doit embrasser et poursuivre tout ce qui est juste, afin que le temps ne l’enterre pas.
Quels ont été les moments les plus marquants ou les plus difficiles durant la rédaction de ce mémoire ?
Après deux années bien remplies de cours et d’évaluations, la rédaction de mon mémoire de Master n’a pas été une tâche facile. Dans le souci de produire un travail de qualité, j’ai dû m’y engager avec rigueur et sincérité. La lecture et la réflexion ont été mes plus fidèles durant cette période d’études intensives. Il m’a donc fallu me dépasser, me priver de sommeil et de repos.
Comment s’est passée la collaboration avec vos encadreurs, Dr Sidi Chabi Moussa et Dr Armand Kintossou Adjagbo ?
Ah oui, mes encadreurs, le Dr Sidi Chabi Moussa et le Dr Armand Kintossou Adjagbo, ont été pour moi une précieuse source d’orientation grâce à leurs conseils et, surtout, à leur patience tout au long de ce travail. Leur expertise et leur disponibilité ont grandement contribué à la réussite de la rédaction de mon mémoire.
Vous avez bénéficié d’un accompagnement rigoureux mais bienveillant. Qu’avez-vous appris, au-delà du contenu, dans ce processus de recherche ?
Au-delà du contenu proprement dit, ce processus de recherche m’a permis d’acquérir des compétences humaines, méthodologiques et intellectuelles essentielles. J’ai appris la rigueur dans le travail académique, la persévérance face aux difficultés, et l’importance de l’organisation dans la gestion du temps et des priorités. L’accompagnement bienveillant de mes encadreurs m’a également enseigné l’humilité intellectuelle : savoir écouter, accepter les critiques constructives et retravailler mes idées sans me décourager. Ce processus m’a aussi aidé à mieux me connaître. J’ai découvert mes limites. En somme, j’ai grandi, en tant qu’étudiant, mais aussi en tant que personne.
La mention Très bien avec félicitations du jury est une reconnaissance importante. Qu’est-ce que cela signifie pour votre avenir académique ou professionnel ?
Obtenir la mention Très bien avec félicitations du jury représente pour moi bien plus qu’une distinction honorifique. C’est une validation de mes efforts, de ma rigueur et de la pertinence de mon travail. Sur le plan académique, cette reconnaissance renforce ma motivation à poursuivre mes recherches, notamment dans le cadre d’un doctorat. Elle m’encourage à creuser davantage les thématiques qui me passionnent et à contribuer, à mon tour, à la production de savoir dans le domaine des lettres modernes et de la poésie africaine. Sur le plan professionnel, elle constitue un atout considérable : elle atteste de ma capacité à mener un projet intellectuel de bout en bout, à travailler de façon autonome et disciplinée, et à produire des résultats de qualité. C’est un gage de crédibilité et de sérieux que je pourrai valoriser dans tout environnement professionnel lié à l’enseignement, à la recherche ou à l’édition.
En tant qu’écrivain vous-même, cette recherche a-t-elle influencé votre propre écriture ? Si oui, de quelle manière ?
Oui, cette recherche va incontestablement influencer mon écriture. En étudiant les œuvres de poètes béninois comme Armand K. Adjagbo et Louis-Mesmin Glèlè, j’ai affiné ma sensibilité littéraire et approfondi ma compréhension des enjeux identitaires, culturels et esthétiques de la poésie contemporaine. Elle m’a permis de prendre conscience de la force du langage poétique lorsqu’il est écrit dans une réalité socio-culturelle. C’est sûr, ma plume sera ainsi plus engagée, et en même temps plus souple, plus attentive au rythme, à la musicalité des mots.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la place de la littérature béninoise dans le monde francophone ?
Aujourd’hui, je porte sur la littérature béninoise un regard à la fois critique et plein d’espoir. Elle demeure encore peu visible sur la scène francophone internationale, malgré la richesse de ses thématiques. De nombreux écrivains béninois produisent des œuvres de grande qualité, alliant tradition et modernité, mais qui peinent à circuler hors des frontières du pays, faute de promotion, de traduction ou de soutien institutionnel. Pourtant, cette littérature dit le Bénin, ses luttes, ses rêves, ses identités multiples avec une puissance poétique et narrative remarquable. Je crois fermement que la littérature béninoise a toute sa place dans le concert de la littérature francophone. Elle a les moyens d’y jouer un rôle majeur à condition d’être mieux diffusée, étudiée et valorisée dans les espaces académiques, éditoriaux et culturels. Ce combat, je le veux beaucoup plus collectif pour qu’émerge une littérature béninoise pleinement reconnue, à l’image de la vitalité créative de ses auteurs.
Avez-vous déjà des projets futurs en lien avec la recherche ou la promotion de la littérature africaine ?
Oui, j’ai plusieurs projets en lien avec la recherche et la promotion de la littérature africaine. Sur le plan académique, je souhaite poursuivre mes études en doctorat avec un projet de recherche portant sur la poésie africaine contemporaine et ses enjeux identitaires. Mon objectif est de contribuer à une meilleure compréhension et à une valorisation scientifique de cette littérature encore trop peu étudiée dans les milieux universitaires. Sur le plan professionnel, je suis également engagé à travers ma maison d’édition, Editions Essaim Plumes, que j’ai fondée pour offrir une plateforme aux écrivains africains, en particulier béninois, et promouvoir leurs œuvres tant sur le plan local qu’international. Je travaille à développer un réseau de diffusion plus large, à organiser des ateliers d’écriture, des rencontres littéraires et à accompagner les jeunes auteurs dans le processus éditorial. Pour moi, la littérature africaine n’est pas seulement un objet d’étude, c’est aussi un levier de transformation culturelle, de transmission de valeurs et d’éveil des consciences. La promouvoir, c’est participer à la construction d’une Afrique qui écrit, qui pense et qui rayonne.
Que diriez-vous à un(e) étudiant(e) qui hésite à choisir un sujet ancré dans la culture béninoise ou africaine ?
Je lui dirais avec conviction de ne pas hésiter. Choisir un sujet ancré dans la culture béninoise ou africaine, c’est faire un acte de courage intellectuel et de responsabilité. C’est contribuer à valoriser notre patrimoine, à réhabiliter des savoirs souvent marginalisés, et à inscrire notre identité dans le champ académique international. Bien sûr, ce choix peut paraître risqué, parfois moins « consensuel », mais il est porteur de sens. Il permet d’ouvrir des perspectives nouvelles, de combler des vides dans la recherche, et de montrer que notre culture est digne d’analyse, de réflexion et de transmission. J’ajouterais qu’en tant qu’Africains, nous avons aussi le devoir de prendre la parole sur nos réalités, nos histoires, nos créations. Car si nous ne les étudions pas nous-mêmes, qui le fera pour nous, et surtout, comment ?
Pour finir, si vous deviez résumer votre mémoire en une seule phrase marquante, laquelle serait-ce ?
Mon mémoire s’intéresse à la manière dont certains poètes béninois, à travers leurs œuvres, redonnent chair et souffle à l’identité socio-culturelle du Bénin.