À Dak Lak, les Muong s’accrochent à leur rituel chanté ancestral, le Mo Muong, désormais inscrit au patrimoine culturel immatériel national. Une démarche est en cours pour son classement à l’UNESCO, face à une pratique menacée. Dans un village de Buôn Ma Thuôt, Quach Thi Hoa Phuong dispose avec soin un plateau d’offrandes. Ce geste ouvre une cérémonie de commémoration des ancêtres. Le thầy mo maître du rituel est accueilli avec respect. Il invoque les esprits des aïeux, les invite à partager le repas, puis les raccompagne par la prière. Ce rituel, hérité de Hoà Binh et transmis oralement depuis des générations, est au cœur de l’identité Muong.
Le Mo Muong, chant sacré et récité, intègre mythes fondateurs, légendes, épopées et cosmogonies. Chaque vers est une trace de mémoire collective, chaque cérémonie une leçon de transmission. Le thầy mo, dépositaire de ce savoir, intervient à chaque étape de la vie : naissance, mariage, funérailles, installation dans une nouvelle maison.
À Buôn Ma Thuôt, Bùi Van Minh, thầy mo reconnu, évoque la diversité régionale du Mo : « À Muong Bi, Muong Vang ou Muong Thàng, les paroles varient selon les fêtes : Nouvel An, fin de récolte, mariage. Chaque moment a son propre langage. » Aujourd’hui, la communauté Muong de Dak Lak compte environ 16.000 personnes réparties entre les districts d’Ea Kar, Krông Nang, Ea H’leo, Krông Bông et Buôn Ma Thuôt. Mais seuls six maîtres maîtrisent encore l’ensemble du répertoire. Pour Bùi Van Thành, au micro du CVN, la reconnaissance de l’État en février 2024 marque un tournant : « C’est une fierté. Cette reconnaissance valorise des années de rituels, de prières, de transmission. Elle montre que notre culture compte. »
Le Mo Muong est aujourd’hui présent dans sept provinces vietnamiennes. À Dak Lak, les autorités, en partenariat avec l’Institut national de musicologie, s’activent depuis 2022 à documenter les rituels, filmer, enregistrer, inventorier les pratiques. Une démarche est en cours pour inscrire le Mo Muong au patrimoine mondial nécessitant une sauvegarde urgente. « Notre priorité est de conserver les formes les plus authentiques du Mo. Nous réalisons les enregistrements, l’Institut se charge du montage et du dossier pour l’UNESCO », explique Pham Minh Huong, directrice de l’Institut.
Face à l’érosion culturelle, cette initiative est un sursaut vital. Le Mo Muong ne se résume pas à un chant ancien. C’est une parole vivante, un lien sacré entre les générations, un acte de résistance contre l’oubli. En sauvegardant cette tradition, les Muong défendent bien plus qu’un rite : ils protègent une vision du monde.