Progressiste ou conservateur. Missionnaire ou diplomate. Européen, africain ou latino-américain. Charismatique, gestionnaire ou théologien. Pour choisir le prochain pape, les 133 cardinaux réunis au conclave dès ce mercredi font face à des calculs politiques alambiqués.
S’agit-il d’un référendum sur le bilan de François ?
C’est ce qui ressort des congrégations générales – les discussions entre cardinaux qui ont eu lieu entre la mort de François et la messe lançant le conclave ce mercredi matin –, estime Cristina Caricato, vaticaniste à TV2000, une chaîne détenue par la Conférence épiscopale italienne (CEI). « Personne n’a voulu trop s’avancer, mais on sent qu’il y a beaucoup de désir de changement, que les choses soient différentes. »
La plupart des cardinaux ont été nommés par François, note Stefano Maria Paci, vaticaniste à l’hebdomadaire italien L’Espresso. « Ils veulent l’honorer, mais aussi refléter une remise en question de l’évaluation ultrapositive de son pontificat. »
Ce conclave peut-il être réduit à un duel entre progressistes et conservateurs ?
Vu du monde non clérical – ou non croyant –, il existerait une nette division sur certains thèmes, par exemple l’égalité entre les hommes et les femmes ou la reconnaissance de la diversité sexuelle et de genre, qu’on retrouve dans les débats sur l’ouverture de la prêtrise aux femmes et de la célébration de mariages homosexuels.

PHOTO MATT MCCLAIN, ARCHIVES THE WASHINGTON POST
La prêtrise est ouverte aux femmes dans l’Église épiscopalienne des États-Unis. Sur la photo, l’évêque Mariann Budde, à Washington, en janvier dernier, lors du sermon inaugural de la présidence américaine.
Mais, le progressisme en Église peut se traduire de différentes façons. « L’Église doit respecter un héritage millénaire et des pays où ces questions sont vues très différemment », dit M. Svidercoschi. « Ça peut être la participation des laïcs aux discussions sur l’avenir de l’Église, la promotion de l’accueil des migrants, ou l’acceptation des points de vue moraux jugés conservateurs par l’Occident au nom de la lutte contre le colonialisme idéologique », poursuit-il.
« Les cardinaux disent être guidés par l’Esprit saint », dit le vaticaniste Gianfranco Svidercoschi, qui a couvert tous les conclaves depuis 1958. « Ça peut paraître surprenant, mais la quantité de variables qui sont prises en compte fait en sorte que, finalement, ce n’est pas si farfelu. »
Quelles autres variables entrent en ligne de compte dans le choix d’un pape ?
Une expérience missionnaire est importante pour les « périphéries » – pays catholiques en dehors de l’Europe – chéries par le pape François, où le christianisme est embryonnaire, mais en forte croissance : le plus grand séminaire au monde, avec un millier de futurs prêtres, est au Niger.
Mais il faut aussi un gestionnaire pour ramener de l’ordre dans les finances du Vatican et mener à bien – ou abandonner – les nombreuses réformes de François.
« Même les Bergoglistes [partisans de François, qui se nomme Jorge Mario Bergoglio] sont exaspérés par les nombreux chantiers qu’il a laissés en plan à cause de son désir de tout centraliser et de son impulsivité », dit Giacomo Gambassi, vaticaniste à Avvenire, le quotidien de la CEI.
M. Svidercoschi donne deux exemples des legs explosifs dont héritera le prochain pape. D’une part, François a nommé la franciscaine Raffaella Petrini cheffe de l’État du Vatican, sans changer la Constitution réservant ce poste à un cardinal. « Ça place son successeur dans une situation difficile. »
D’autre part, il a aussi laissé le cardinal maltais Mario Grech étendre le processus synodal jusqu’en 2029. Il s’agit d’une grande consultation des évêques et des laïcs du monde entier qui devait se conclure l’automne dernier, dont Mgr Grech était secrétaire. « Tout le monde est fatigué de la synodalité, mais la sortie de Grech force un désaveu qui pourrait diviser l’Église », dit M. Svidercoschi.

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Une session de la seconde assemblée synodale avait lieu dans le hall Paul VI, au Vatican, le 1er avril dernier.
Autres considérations importantes, si le prochain pape est un canoniste crédible, il sera plus facile de faire taire les critiques des réformes, dit M. Svidercoschi. « Et personne ne veut abandonner la sensibilité de François envers les pauvres et les marginaux, qui a beaucoup amélioré la popularité de la papauté par rapport à Benoît XVI. »
Les préférences nationales de chacun jouent aussi, particulièrement pour les Italiens. Depuis 1978, la proportion de cardinaux originaires d’Italie a baissé de moitié et beaucoup estiment que c’est peut-être la dernière chance de voir un des leurs accéder au Saint-Siège.
Le prochain pape pourrait-il être africain ?
Plusieurs vaticanistes pensent que le seul choix envisageable est Fridolin Ambongo, évêque de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, et dirigeant de la Conférence épiscopale africaine.

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Le cardinal Fridolin Ambongo, lundi, à son arrivée au Vatican en prévision de l’ouverture prochaine du conclave
Mais ses prises de position sur la morale sexuelle sont un bon exemple des difficultés que devrait affronter un pape africain avec les Églises occidentales. Il a notamment dénoncé la « décadence morale et culturelle occidentale » qui fait que « les Occidentaux n’aiment pas les enfants ».
« François a réussi en partie à éviter les manchettes sur la morale sexuelle, un pape africain les ramènerait assurément », dit M. Svidercoschi.
Et Américain ?
La plupart des vaticanistes estiment qu’il serait nuisible à l’Église qu’un pape provienne de la superpuissance économique et militaire mondiale. « Il serait soupçonné d’impérialisme, de représenter les États-Unis, et ça compliquerait le dialogue interreligieux », dit M. Svidercoschi.
Certains avancent toutefois que Robert Prévost, 69 ans, né à Chicago d’un père français et d’une mère italienne, pourrait être envisageable, parce que ses racines américaines ne sont pas très profondes. Il a notamment passé près de 40 ans au Pérou comme missionnaire augustin. Il a d’ailleurs succédé à l’archevêque de Québec, Marc Ouellet, au Dicastère pour les évêques en 2023.

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Le cardinal Robert Prévost, originaire des États-Unis
« Prévost est fortement associé à l’Amérique latine », dit Marco Grieco, rédacteur à l’Osservatore Romano. « Et un Américain pourrait avoir plus d’impact dans ses critiques de la société et de la politique américaines. »