Bénin : le coup de force manqué révèle l’ampleur de la guerre numérique qui cible désormais la sous-région

La tentative de coup d’État déjouée au Bénin le dimanche 7 décembre 2025 n’aura duré que quelques heures. Mais elle aura suffi à exposer un phénomène beaucoup plus profond : la montée en puissance de réseaux transnationaux de désinformation qui cherchent, de manière méthodique, à fragiliser les États côtiers d’Afrique de l’Ouest. Alors que les forces béninoises, appuyées par des partenaires régionaux, neutralisaient la mutinerie, une bataille parallèle se jouait sur un autre terrain : les réseaux sociaux. Faux comptes, avatars issus du Burkina Faso, relais proches de l’Alliance des États du Sahel (AES) et influenceurs panafricanistes radicaux ont tenté de construire, en temps réel, l’illusion d’un pouvoir renversé et d’une présidence en fuite.

Une machine de désinformation pleinement activée

Dans les minutes suivant les premiers coups de feu, des dizaines de comptes TikTok, Facebook et X ont diffusé des vidéos montées de toutes pièces, des déclarations attribuées à des militaires, ou encore des images sorties de leur contexte. Plusieurs pages liées à l’écosystème AES ont relayé l’idée que « le Bénin avait basculé », alors que la situation était déjà sous contrôle. Ce ballet numérique n’a rien eu de spontané. L’enchaînement des contenus, la simultanéité des publications et l’usage des mêmes éléments de langage rappellent les campagnes coordonnées observées depuis deux ans contre divers pays de la sous-région. Les techniques sont désormais rodées : identification des failles, exploitation de l’émotion, saturation de l’espace numérique.

Le rôle ambigu des structures de communication régionales

Le nom du BIRC structure informelle ou semi-officielle dédiée à l’action numérique au Burkina Faso revient régulièrement dans les analyses. S’il n’existe pas de preuve formelle d’une implication directe dans le cas béninois, de nombreux comptes associés à son écosystème ont été très actifs durant la nuit du 7 décembre. Ces cellules numériques, souvent autonomes mais idéologiquement alignées, alimentent une rhétorique anti-ECOWAS, anti-France et parfois prorusse. Leur objectif : imposer un récit alternatif dans lequel l’AES incarne la résistance, tandis que les pays côtiers seraient des relais « néocoloniaux ».

Un laboratoire où s’entrecroisent idéologie et intérêts géopolitiques

La tentative de coup d’État du Bénin confirme que les États côtiers ne sont plus seulement exposés aux dynamiques sécuritaires du Sahel, mais aussi à ses conflits informationnels. Les récits radicaux circulent plus vite que les armes. Les autorités béninoises, tout comme celles du Ghana, de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal, deviennent des cibles prioritaires pour des réseaux cherchant à élargir leur influence politique. À cette bataille idéologique se superposent des jeux d’intérêts extérieurs. Les réseaux russes liés à l’appareil d’influence du Kremlin dont certains ont déjà soutenu des acteurs panafricanistes radicaux trouvent un terreau fertile dans les tensions régionales. Le narratif anti-occidental sert autant des agendas locaux que des stratégies globales d’affaiblissement de l’influence occidentale.

Un signal d’alarme pour les démocraties côtières

Si la tentative de putsch a échoué, l’opération numérique, elle, a montré une redoutable capacité à semer le trouble. Pendant plusieurs heures, le Bénin a été noyé sous un déluge de contenus manipulés, regardés par des centaines de milliers d’internautes en Afrique et dans la diaspora. Cette réalité impose une nouvelle équation sécuritaire : protéger un État ne se limite plus à défendre ses casernes et institutions, mais aussi son espace informationnel. Sans stratégie coordonnée de cybersécurité, de régulation et d’éducation aux médias, d’autres opérations similaires pourraient émerger.

Un avertissement plus qu’un incident

Le 7 décembre 2025 ne restera pas seulement comme la date d’un coup d’État manqué. Il marque un tournant : celui où les lignes de fracture géopolitiques du Sahel ont clairement débordé vers le Sud, par l’entremise d’un nouveau champ de bataille la désinformation. Pour les démocraties ouest-africaines, le défi ne fait que commencer : apprendre à contrer non seulement les mutineries visibles, mais aussi les attaques invisibles venues des écrans.

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