Coup d’État déjoué au Bénin : voici ici, la succession des événements qui se sont déroulés dimanche sept décembre 2025

 

La situation est désormais « sous contrôle » à Cotonou, après la tentative de coup d’État menée par le lieutenant-colonel Tigri. Plusieurs des mutins ont été arrêtés, mais beaucoup sont parvenus à prendre la fuite et les opérations de ratissage se poursuivent. Récit d’une journée durant laquelle le Bénin a retenu son souffle.

Une décennie après le « coup d’État le plus bête du monde » au Burkina Faso, le Bénin a-t-il connu, ce 7 décembre, le coup d’État le plus court du monde ? Une poignée d’heures seulement après que des militaires, casques vissés sur la tête et fusils d’assaut en bandoulière, sont apparus sur les écrans de la télévision nationale pour annoncer la destitution du président Patrice Talon, les autorités béninoises ont indiqué avoir repris le contrôle de la situation.

 

Tout n’est cependant pas rentré dans l’ordre. Car si les mutins dirigés par le lieutenant-colonel Pascal Tigri, qui s’est brièvement proclamé nouveau maître de Cotonou, ont pris la fuite, ils ont pris en otage deux hauts gradés. Ceux-ci étaient, en fin de journée, toujours entre leurs mains. Et de nombreuses zones d’ombre entourent encore les circonstances de cette tentative de putsch.

📍D’abord, des hauts gradés

Tout a démarré avant le lever du jour, ce dimanche. Les résidences de plusieurs hauts gradés sont alors prises pour cible par des hommes armés, probablement pour empêcher toute réaction au sein de la hiérarchie des Forces de défense et de sécurité.

Le domicile du général Bertin Bada, à Abomey-Calavi, a été le théâtre d’un assaut particulièrement violent, aux alentours de 3 heures du matin. Selon nos informations, la fille et l’épouse du général Bada ont été touchées par des tirs. La seconde a succombé à ses blessures, tandis que le général est parvenu de justesse à échapper aux assaillants. Directeur du cabinet militaire du président Talon, dont il est l’un des hommes de confiance, Bertin Bada avait été promu au rang de général de corps aérien en juin dernier : une première au Bénin qui ne comptait jusque-là aucun général quatre étoiles au sein de l’armée de l’air.

Des militaires se présentant comme le Comité militaire pour la refondation ont affirmé avoir pris le pouvoir au Bénin, ce 7 décembre.

Le domicile du général Abou Issa, chef d’état-major de l’armée de terre, a lui aussi été attaqué dans la nuit. Après être parvenus à prendre le contrôle de sa résidence, les mutins l’ont enlevé avant de prendre la fuite. Le général Abou Issa, ainsi qu’un autre officier supérieur dont l’identité n’est pour l’instant pas connue, étaient toujours aux mains des mutins, le 7 décembre au soir.

📍Ensuite, la présidence

Peu de temps après, un commando a pris d’assaut la résidence du chef de l’État au cœur de Cotonou, près du camp Ghézo. Repoussés au terme d’intenses affrontements avec les membres de la Garde républicaine, les mutins ont tenté de pénétrer dans le palais présidentiel. Là encore, des témoins ont rapporté des échanges de tirs nourris. Les hommes chargés de la sécurisation de la présidence ont tenu bon et les assaillants ont été mis en échec.

Ceux-ci se sont alors rendus au siège de la SRTB, la chaîne de radiotélévision nationale béninoise, dont ils ont pris le contrôle, forçant les techniciens présents sur place, sous la menace de leurs armes, à enregistrer un message qu’ils ont ensuite fait diffuser en boucle. Il est 9h30.

C’est à ce moment-là que, prenant la parole au nom d’un « Comité militaire pour la refondation », le lieutenant-colonel Pascal Tigri a annoncé « démettre de ses fonctions » le chef de l’État. Il a aussi dit suspendre la Constitution et l’intégralité des institutions du pays, et affirmé que « l’armée nationale exercer[ait] jusqu’à nouvel ordre la plénitude des pouvoirs dévolus à l’État du Bénin ».

L’officier a également affirmé vouloir mettre fin à « la gouvernance de Patrice Talon et à la privation de certains citoyens de leurs droits de choisir leur candidat », avant de dénoncer « le vote de lois crisogènes », « le renvoi en exil de certains citoyens » et « les arrestations tous azimuts ». Moins d’une vingtaine de minutes plus tard, les autorités béninoises ont coupé le signal de la SRTB. Des soldats loyalistes encerclent alors le bâtiment et reprennent le contrôle de la chaîne.

📍« Nous poursuivons les opérations de ratissage »

Un peu plus d’une heure plus tard, vers 11h45, le signal de la SRTB est rétabli. Les Béninois voient alors apparaître à l’écran le ministre de l’Intérieur, Alassane Seïdou, qui affirme que la situation est « sous contrôle ». « Un groupuscule de soldats a engagé une mutinerie dans le but de déstabiliser l’État et ses institutions. Face à cette situation, les Forces armées béninoises et leur hiérarchie, fidèles à leur serment, sont restées républicaines. Leur riposte a permis de garder le contrôle de la situation et de faire échec à la manœuvre », soutient-il.

Des combats n’en ont pas moins continué dans plusieurs quartiers de Cotonou dans les heures qui ont suivi. Des détonations ont notamment retenti aux abords de la caserne de la Garde nationale, située à proximité de l’aéroport, dans le quartier de Fidjrossè. Des tirs à l’arme lourde ont également été signalés en toute fin de matinée dans le nord de Cotonou, alors que les mutins tentaient de fuir la ville.

Si les autorités ont annoncé avoir interpellé 13 personnes, dont beaucoup faisaient partie du commando qui avait pris le contrôle de la SRTB, les principaux auteurs de la tentative de putsch demeuraient introuvables. « Nous sommes en train de poursuivre le ratissage, a néanmoins assuré à Jeune Afrique Fortunet Nouatin, ministre béninois de la Défense. Dans quelques heures, on connaîtra l’épilogue de cette histoire. »

Si les mutins ont été tenus en échec, c’est grâce à la riposte rapide des forces « loyalistes », et notamment aux hommes de la Garde républicaine commandée par le colonel Djimon Dieudonné Tévoédjrè. La riposte en elle-même a été pilotée à distance par le chef d’état-major des armées, le général Fructueux Gbaguidi.

Selon nos informations, celui-ci se trouvait à Paris ce dimanche pour un déplacement professionnel prévu de longue date. Cela ne l’a pas empêché de coordonner la réponse militaire en lien constant avec Patrice Talon et avec Romuald Wadagni, le ministre des Finances et candidat de la majorité à la présidentielle. Le président béninois, que son entourage a dit être « en sécurité » dès les premières heures de la matinée, n’a pour l’heure pas pris la parole publiquement.

C’est la première tentative de coup de force armé au Bénin depuis 1972 – à l’époque, Mathieu Kérékou était parvenu à s’emparer du pouvoir. Aussi les chancelleries étrangères ont-elles suivi de près l’évolution de la situation. Emmanuel Macron fait partie de ceux qui se sont tenus informés des évènements. Selon nos informations, des éléments des Forces spéciales françaises, présentes à Cotonou dans le cadre de la sécurisation des emprises diplomatiques, ont été mis en état d’alerte et prépositionnés.

📍Un putschiste sous influence ?

Ce dimanche soir, si la tentative de coup d’État semble bel et bien avoir échoué, les questions sur ses instigateurs restent entières. La courte prise de parole du lieutenant-colonel Tigri a fortement résonné avec la rhétorique utilisée pour justifier les coups d’État menés par les militaires au pouvoir au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Lui aussi a pointé « la dégradation de la situation sécuritaire » dans son pays et « la promotion à des grades supérieurs de certains militaires au détriment des plus méritants ».

Signe de cette proximité idéologique, plusieurs activistes proches de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont publié, dès dimanche matin, des messages célébrant la tentative de putsch. Kemi Seba, militant panafricaniste radical et conseiller spécial du président nigérien Abdourahamane Tiani, a notamment diffusé dans la matinée une vidéo dans laquelle il semblait exulter face à la chute du « clan de prédateurs économiques du président Patrice Talon ». Quelques heures plus tard, il relayait à nouveau des appels à la mobilisation en faveur des putschistes, alors déjà en fuite.

Un haut gradé béninois, sous les ordres duquel le lieutenant-colonel Tigri avait servi, a confié à Jeune Afrique sa « surprise » de voir cet officier prendre la tête des mutins. « C’est un soldat calme, poli, presque réservé, nous glissait cette source à la mi-journée. J’ai beaucoup travaillé avec lui. Si c’est vraiment lui qui est à la manœuvre, il est en train de se faire manipuler. »

Soldat formé à l’artillerie, le lieutenant-colonel Pascal Tigri a un temps été le commandant du 3e Bataillon interarmes (3e BIA), avant d’être nommé à la tête du Groupement des forces spéciales. Une unité placée sous la direction de la Garde nationale, dirigée par Faizou Gomina, et dont les hommes sont fréquemment déployés dans le Nord pour affronter les jihadistes qui y mènent des incursions meurtrières depuis le Burkina Faso et le Niger.

Cet article est une production de Jeune Afrique 

Par Mawunyo Hermann Boko,

Matthieu Millecamps,

et François Soudan Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

 

Publié le 7 décembre 2025

Shares: