À six mois du scrutin présidentiel du 12 avril 2026, le parti Les Démocrates (LD) traverse une tempête politique qu’il semble avoir lui-même provoquée. Alors que le pays entre dans la phase décisive du processus électoral, la principale formation de l’opposition multiplie les signaux d’indiscipline et de confusion interne : pas moins de trente-quatre membres ont manifesté leur intention d’être candidats à l’investiture du parti. Jamais, depuis le renouveau démocratique, un parti d’opposition béninois n’aura connu un tel désordre au moment d’affronter une échéance aussi stratégique.
Une avalanche de candidatures, reflet d’une démocratie interne ou d’une cacophonie politique ?
Sur la longue liste des prétendants, on retrouve des visages connus et des noms moins médiatisés : Éric Houndété, Nourenou Atchadé, Guy Mitokpè, Moïse Kérékou, Mama Sika Ismaël, Degan Armel Simon, Sawé Yacoubou, Adechokan Gafari, Zinsou Bodé Smith, Agon Valentin, Amadou Moukaila, Kinninnan Lucien, et tant d’autres. Tous nourrissent le rêve de porter le flambeau de l’opposition face au pouvoir actuel. Cette pluralité pourrait être perçue comme une preuve de vitalité démocratique si elle s’accompagnait d’une discipline organisationnelle. Or, sur le terrain, elle traduit plutôt une fragmentation inquiétante du leadership. Entre ambitions régionales, querelles d’appareil et rivalités personnelles, Les Démocrates apparaissent comme un orchestre sans chef, jouant des partitions différentes au moment où la symphonie de l’unité devrait retentir.
Boni Yayi, le grand muet au centre du jeu
Dans ce tumulte, Boni Yayi reste le grand absent-présent. Fondateur du parti, figure tutélaire et véritable ciment idéologique du mouvement, l’ancien président observe en silence. Officiellement, il n’intervient pas. Officieusement, aucune décision majeure ne se prend sans son assentiment. Plusieurs sources internes évoquent une stratégie d’attente calculée : Yayi laisserait les ambitions s’entrechoquer pour mieux revenir en arbitre ultime. Et dans les coulisses, certains murmurent qu’il pourrait sortir un “candidat surprise” une personnalité jusque-là en retrait, mais susceptible de réconcilier les camps. Des noms circulent, dont celui de Rachelle Yayi, sa fille, que d’aucuns présentent comme un possible “joker politique” du patriarche pour le poste de Vice Présidente. Elle a reuni toutes les pièces: documents d’etat civil , quitus fiscal … et preparer minutieusement son dossier de candidatiture . « Yayi ne parle pas, mais il n’a pas renoncé à influencer le jeu. Il connaît ses troupes, leurs faiblesses et leurs appétits. Il reviendra au moment où personne ne l’attend », confie un cadre du parti, proche de la direction nationale. Cette posture entretient une confusion maîtrisée, mais aussi un malaise profond au sein des structures locales. Beaucoup redoutent qu’au dernier moment, le choix vienne d’en haut, imposé au détriment du processus participatif promis aux militants.
Une primaire à haut risque
Le bureau exécutif a annoncé l’organisation d’une primaire interne pour désigner le candidat officiel avant fin janvier 2026. Mais à ce stade, tout indique que le processus pourrait tourner à la confrontation ouverte. Entre le camp Houndété, les partisans d’Atchadé, les jeunes de Mitokpè, les régionalistes ralliés à Bio Sawé et les tenants d’un “Yayi bis”, le consensus semble hors de portée. Cette multiplication des ambitions parfois sans base électorale réelle traduit un appétit collectif pour la fonction présidentielle, perçue moins comme une mission nationale que comme un trophée individuel. Et pendant que les Démocrates s’affrontent entre eux, le pouvoir en place, structuré et discipliné, observe avec une sérénité ironique la lente auto-destruction du principal parti d’opposition.
Un parti au bord de l’implosion
Le risque d’une implosion n’est plus théorique. Les fractures idéologiques, générationnelles et personnelles s’élargissent à mesure que le calendrier se resserre. Si aucun consensus n’émerge d’ici 13 Octobre, le parti pourrait voler en éclat. Dans un contexte où la cohésion et la stratégie sont les clés de toute victoire électorale, cette désunion offrirait un boulevard au camp présidentiel. La base militante, quant à elle, s’impatiente. Certains y voient déjà une trahison de l’espoir du peuple de l’opposition, lassé des querelles intestines et des calculs personnels.
Le pari perdu de la cohésion
Le drame des Démocrates, c’est d’avoir confondu pluralité et dispersion. À force de vouloir incarner la démocratie interne, le parti risque d’incarner l’indécision et le chaos. Les grands partis d’opposition ne se construisent pas sur la somme des ambitions, mais sur la clarté d’un projet, la force d’un symbole et la discipline d’une équipe. Aujourd’hui, Les Démocrates semblent avoir tout sauf cela. Et à six mois d’un scrutin capital, le parti donne l’image d’un bateau sans capitaine, balloté par des vents d’ego et de méfiance.
Yayi joue et cache son jeu, mais pour combien de temps encore ?
L’ancien président garde le mystère, mais il sait que le temps joue contre lui. S’il n’intervient pas rapidement pour imposer une ligne claire et un candidat fédérateur, la “famille démocrate” pourrait se disloquer avant même d’entrer en campagne. L’histoire politique béninoise nous a appris qu’un parti d’opposition divisé ne gagne jamais une présidentielle.
Le parti Les Démocrates est donc à la croisée des chemins :
- Soit il transforme cette effervescence en processus démocratique maîtrisé ;
- Soit il s’enlise dans ses contradictions, confirmant les pires prédictions d’une opposition incapable de s’unir.
En attendant, Yayi observe, calcule et attend le moment de tirer son épingle du jeu. Mais dans un contexte aussi volatil, même les stratèges les plus expérimentés peuvent se faire surprendre par le désordre qu’ils ont laissé croître.
Par Boladé AFOUDA, Analyste politique