Sénégal : entre peur diffuse et envie d’ailleurs, un pays à la croisée des perceptions

Une enquête d’Afrobarometer, rendue publique à Dakar, révèle une tendance marquante chez les Sénégalais : un sentiment croissant d’insécurité intérieure et un désir de plus en plus affirmé de quitter le pays. Réalisée par le Consortium pour la recherche économique et sociale (CRES), l’étude interroge 1200 citoyens entre février et mars 2025, moins d’un an après le changement de régime.

Selon les résultats, 58 % des personnes interrogées disent ne pas se sentir en sécurité, que ce soit à leur domicile ou dans leur quartier. Paradoxalement, cette inquiétude est plus forte au centre du pays que dans des zones historiquement instables comme le sud ou l’est, touchées par les conflits ou les menaces extrémistes. Pour Dr Abdoulaye Diallo, chercheur au CRES, ces données traduisent un climat social tendu. Les jeunes, bien qu’un peu moins angoissés que leurs aînés, restent aussi sensibles aux risques. Le chômage (38 %) et l’usage de drogues (29 %) sont perçus comme les moteurs de la délinquance, et la création d’emplois est identifiée par 56 % des répondants comme la solution prioritaire.

Malgré cela, l’insécurité n’arrive qu’en quatrième position parmi les priorités des Sénégalais, loin derrière la cherté de la vie (55 %), la santé (54 %) et le chômage (39 %). Autre donnée frappante : 83 % des sondés se disent favorables au retour de la peine de mort pour les crimes graves, abolie depuis 2004. Une statistique qui a étonné les chercheurs présents à la cérémonie de restitution, même si certains observateurs ont évoqué l’influence des réseaux sociaux et des médias sur la perception de la criminalité.

Le paradoxe migratoire

L’étude met aussi en lumière un autre phénomène : près d’un Sénégalais sur deux déclare avoir envisagé l’émigration. Les motivations sont claires : fuir le chômage, trouver de meilleures conditions de vie, ou offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Pourtant, ces aspirations s’accompagnent d’un rejet croissant des migrants étrangers vivant au Sénégal, accusés d’alourdir la concurrence sur le marché du travail. Plusieurs sondés estiment nécessaire de renforcer les contrôles à l’entrée, qu’il s’agisse de travailleurs ou de réfugiés. La contradiction est d’autant plus marquante que le Sénégal est membre de la Cédéao, qui garantit la libre circulation des personnes. Or, une majorité juge cette liberté difficilement applicable dans les faits, preuve d’un décalage entre les principes régionaux et la réalité perçue sur le terrain.

Présent lors de la présentation du rapport, le commissaire Ndiarré Sène, directeur de la sécurité publique, a reconnu que la perception de l’insécurité est aujourd’hui un enjeu à part entière. « Il ne suffit plus d’avoir des chiffres. Il faut aussi rassurer les populations. » Même son de cloche chez la gendarmerie, qui insiste sur la prévention, les patrouilles de proximité et l’écoute active des populations.

En définitive, cette enquête révèle un Sénégal en tension, partagé entre inquiétudes locales, rêves de départ et crispations identitaires. Des signaux forts, à l’heure où les nouvelles autorités cherchent à rétablir la confiance et à répondre aux attentes de citoyens à la fois critiques, inquiets… et en quête d’avenir.

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