Tunis, héritière des Ottomans : entre minarets octogonaux et céramique d’Iznik

La médina de Tunis conserve une empreinte profonde de l’époque ottomane, marquée par une architecture qui mêle traditions locales et influences venues d’Istanbul. Du XVIe au XIXe siècle, la capitale tunisienne a vu s’élever nombre d’édifices inspirés des complexes impériaux ottomans, tout en intégrant des éléments maghrébins, africains et européens. C’est ce que met en lumière l’historien tunisien Ahmed Saadaoui, spécialiste de l’architecture moderne du Maghreb. Rencontré à Tunis lors d’une rencontre initiée par l’Association d’Amitié Tuniso-Turque, il insiste sur la richesse du patrimoine hérité de cette période, qu’il explore depuis plus de trente ans.

Selon lui, la majeure partie des monuments de la vieille ville actuelle remonte à l’époque ottomane. Si quelques édifices antérieurs subsistent comme la mosquée Ezzitouna du IXe siècle ou celle de la Kasbah datant du XIIIe siècle , ce sont surtout les constructions postérieures au XVIe siècle qui ont façonné le visage de Tunis. L’un des exemples les plus emblématiques est la mosquée Youssef Dey, érigée en 1612. Elle constitue le premier complexe ottoman de la ville, combinant lieu de prière, mausolée (tourba) et école coranique (medersa) sur un modèle typiquement ottoman, directement inspiré des fondations d’Istanbul.

Ce schéma, qui associe mosquée, tombeau et espace d’enseignement, sera reproduit ailleurs, notamment à Sahab Ettabaâ à Halfaouine, l’un des derniers grands ensembles de ce type, datant du XIXe siècle. Cette configuration urbaine, inédite à Tunis avant l’arrivée des Ottomans, introduit la présence des mausolées dans l’espace intra-muros, alors qu’ils étaient auparavant absents des villes.

Les signes de cette influence ottomane sont multiples : minarets de forme octogonale, stèles funéraires surmontées de turbans dans les cimetières, calligraphies orientales de style cursif, ou encore l’usage de faïence importée d’Iznik en Turquie. Ces éléments décoratifs et architecturaux témoignent d’une époque où Tunis dialoguait étroitement avec les grandes villes de l’Empire. La mosquée Mohamed Bey, construite entre 1692 et 1697, illustre avec éclat cette synthèse. Elle reprend les codes des grandes mosquées ottomanes, comme la Süleymaniye d’Istanbul : coupole centrale, demi-coupoles latérales et faïence colorée.

Dans son ouvrage Tunis, ville ottomane : trois siècles d’urbanisme et d’architecture, Ahmed Saadaoui retrace cette évolution urbaine. Il montre comment les beys et les deys turcs ont marqué l’espace de leur pouvoir, en bâtissant une ville neuve sur les fondations hafsides sans en modifier les limites, mais en renouvelant profondément son bâti.

Tunis, comme Tripoli ou Alger, demeure ainsi un précieux témoignage architectural du passage ottoman au Maghreb, entre mémoire impériale et enracinement local.

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