Condamné pour meurtre, devenu influenceur pro-russe puis recruté par les services militaires, Viktor Loukovenko, (alias Viktor Vasiliev), incarne les pratiques troubles de l’influence numérique russe en Afrique, avant de tenter de les reproduire en Asie centrale. Son parcours atypique et son rôle dans le projet African Initiative illustrent les passerelles opaques entre propagande, manipulation, et mercenariat.
Autoproclamé « expert » de l’Afrique de l’Ouest, Loukovenko a été condamné en Russie à huit ans de prison en 2011 pour homicide. Sa réhabilitation s’est faite dans les cercles d’influence numérique, en intégrant le projet Lakhta d’Evgueni Prigojine une structure dédiée aux campagnes de désinformation du Kremlin. C’est là qu’il forge son rôle de propagandiste, notamment via sa chaîne Telegram « Souriez et saluez » (@afric_ylbIbka), à travers laquelle il diffuse récits anti-occidentaux et contenus pro-Kremlin.
Selon plusieurs enquêtes en source ouverte, Loukovenko aurait été recruté par le colonel Denis Smolyaninov, une figure du GRU (service de renseignement militaire russe), spécialisée dans les opérations psychologiques. En 2022, il aurait été envoyé en Ukraine, preuve supplémentaire de sa proximité avec l’appareil sécuritaire russe.
En Afrique, son nom est rattaché à African Initiative, cette agence de presse camouflée en ONG, déjà pointée du doigt pour sa fonction de relais d’influence russe sur le continent. Loukovenko s’en revendiquait comme fondateur et trésorier de sa branche burkinabè. Il en aurait piloté plusieurs actions sur le terrain, tout en publiant des articles sur le site afrinz.ru.
Mais en juillet 2024, il annonce subitement sur sa chaîne Telegram sa rupture avec le projet, dénonçant un « salaire bas ». En façade, il quitte la scène. En coulisses, il prépare une autre opération. À l’automne, il lance « Central Asia Initiative », une plateforme de veille présentée comme un observatoire sociopolitique au Kirghizstan. Une couverture, selon les autorités locales, pour des activités bien moins académiques.
En avril 2025, Viktor Loukovenko est arrêté à Och, au Kirghizstan, en compagnie d’une employée de la Maison russe locale. Tous deux sont soupçonnés d’avoir recruté des mercenaires pour les envoyer dans des conflits armés à l’étranger.
Ce nouveau chapitre confirme une constante : les outils et méthodes de l’influence russe ne s’arrêtent pas aux frontières. De l’Afrique à l’Asie centrale, Viktor Loukovenko apparaît comme un maillon d’un dispositif souterrain qui combine propagande, infiltration sociale, militarisation de l’information et guerre hybride.
À travers lui, c’est tout un système que l’on voit à l’œuvre : des agents recyclés, des structures d’apparence civile, des relais numériques camouflés sous le masque de l’« expertise ». Loukovenko n’est pas un cas isolé. Il est l’un des visages les plus visibles d’une stratégie tentaculaire qui s’adapte aux terrains et aux contextes, avec une finalité inchangée : affaiblir les contre-discours, déstabiliser les institutions et étendre l’influence de Moscou.