C’est désormais officiel : la frontière entre le Niger et le Bénin restera fermée jusqu’à nouvel ordre. Ainsi en a décidé le général Tiani, chef de la transition nigérienne, dans une interview qui ressemblait davantage à un monologue paranoïaque qu’à une déclaration d’État. Entre accusations improbables, obsession de la France, et déni absolu de la réalité nigérienne, l’homme fort de Niamey se livre à un exercice devenu tristement habituel : désigner des ennemis extérieurs pour masquer ses propres échecs.
Mais posons une question simple, et posons-la haut et fort : depuis quand le Bénin, État souverain, devrait-il calquer sa politique de défense et de coopération internationale sur les humeurs d’un régime militaire voisin ? Depuis quand Talon ou tout président béninois devrait-il demander la bénédiction de Tiani pour établir des partenariats avec la France, les États-Unis, la Chine ou quiconque ?
Une fixation sur le Bénin, une cécité sur le Niger
Tiani se présente comme une sorte de Sherlock Holmes sahélien, une sentinelle omnisciente, infiltrant les groupes terroristes comme d’autres écrivent des romans d’espionnage. Il affirme avoir à sa disposition des informateurs au sein même de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), et reçoit des « rapports détaillés » sur les réunions tenues au Nigeria, au lac Tchad, voire sur les déplacements de la Croix-Rouge internationale qu’il accuse sans preuve de financer les terroristes. Tout cela, oui. Mais rien sur les massacres réels, récents, tragiques qui frappent ses soldats.
Rien sur les 58 militaires tombés à Eknewen le 24 mai. Rien sur les 53 tués à Boumba-Falmey le 26 mai. Rien sur les 16 morts à Tahoua, ni les disparus de Dosso. Rien sur les civils égorgés à Tillabéri. Ces morts, pourtant bien réels, n’ont pas droit de cité dans la mémoire sélective du général.
Tiani a la mémoire longue quand il s’agit des relations franco-béninoises, mais il souffre d’une forme d’Alzheimer stratégique quand il faut se souvenir de la situation intérieure du Niger. Ce même Niger où, faut-il le rappeler, aucune région n’est aujourd’hui totalement sous contrôle , où les mutineries couvent et où les attaques djihadistes sont devenues quasi-quotidiennes.
Le Bénin n’a pas de leçons à recevoir
Au Bénin, aucun territoire n’est occupé par un groupe terroriste. Le pays n’enregistre pas une attaque tous les jours. Ce n’est pas un miracle, ni une chance. C’est le fruit d’une stratégie cohérente, d’un investissement constant dans la sécurité, d’une diplomatie équilibrée et d’alliances assumées. Et si un allié y est présent dans le cadre de la coopération sécuritaire, ce n’est pas pour comploter contre Tiani, mais pour contribuer à la stabilité d’une région où chaque mètre carré de chaos supplémentaire profite aux terroristes .
Il est grotesque et grave d’insinuer que le Bénin, le Nigeria ou même la Côte d’Ivoire financeraient, via la Croix-Rouge, des groupes armés. Cette rhétorique, utilisée sans filtre, désacralise la souffrance réelle des populations, discrédite la lutte antiterroriste, et compromet le travail de terrain d’organisations humanitaires essentielles .
Une junte obsédée par l’extérieur, muette sur l’intérieur
Au fond, la méthode Tiani est connue. Détourner l’attention, fabriquer des ennemis, jeter le soupçon sur tout ce qui bouge hors du bunker de Niamey. Le général dit tout voir, tout savoir. Mais il ne voit rien à Boni, à 50 kilomètres de la capitale. Il ignore sciemment que, sous Bazoum qu’il a renversé le Niger était le moins infesté du Sahel. Il oublie, ou fait mine d’oublier, que le putsch n’a apporté ni sécurité, ni prospérité, ni stabilité . Juste plus de morts, plus de haine, plus d’isolement.
Quant à la presse, muselée. Les opposants ? Réduits au silence. Et les intervieweurs ? Des souffleurs de répliques, plus soucieux de flatter l’égo martial que de poser des questions gênantes.
L’Afrique que nous voulons
Le Bénin n’a pas à plier devant l’AES. Il n’a pas à s’excuser de défendre ses intérêts, ni à changer sa politique étrangère pour plaire à des généraux en treillis. L’Afrique que nous voulons celle que défendent des millions de citoyens silencieux n’est pas celle des coups d’État, des frontières fermées et des discours de revanche postcoloniale mal assumée.
C’est une Afrique des choix assumés, de la responsabilité partagée, de la sécurité collective. Une Afrique où la mémoire des soldats tombés sert à bâtir des ponts, pas à ériger des murs.
Alors, que Tiani regarde chez lui. Et que le Bénin continue d’avancer.